A la deuxième édition des Rencontres de la participation, il y avait plein d’agents publics engagés et plus ou moins lessivés, quelques élus plus ou moins inspirés, et au moins une développeuse les oreilles grandes ouvertes.

J’ai donc entamé (ou presque) la tournée 2018 des déplacements nationaux par un événement plutôt ciblé fonction publique : les rencontres de la participation. La raison de ma venue : plusieurs plénières ou ateliers clairement orientés « Participation et numérique » et la tenue de l’événement à Lille comme prétexte pour espérer croiser l’écosystème des communs lillois.

L’effet boomerang des gadgets participatifs numériques

Un premier enseignement tiré dès la plénière d’ouverture : la participation est une démarche qui doit être gérée et suivie, sous peine de se prendre un vilain retour de bâton.

Lors de la plénière, les organisateurs nous invitent à poser nos questions aux orateurs via un dispositif numérique (www.sli.do en l’occurrence), les questions étant affichées en temps réel sur un écran sur scène. L’écran est dans le dos des orateurs (qui doivent donc se retourner pour le voir), face au public. Ce qui permet immédiatement à ce dernier de se rendre compte lorsque des questions posées (sur la non parité des panels, par exemple) disparaissent soudainement. Sans surprise, face à ce qui apparait comme de la modération abusive, l’écran des questions se transforme alors en arène à trolls, alors que les experts continuent à discuter entre eux sans tenir compte de leur audience.

« La vraie vie, c’est dans la dernière question que ça se passe « 

Brillant exemple de ce qu’il ne faut surtout pas faire.

Des initiatives à suivre

J’en découvre un peu plus sur le carrefour des innovations sociales, proposé par le Commissariat Général à l’Egalité des Territoires (CGET) et l’Unadel (Union Nationale des Acteurs et Structures du Développement Local). C’est un projet issu du programme Entrepreneur d’Intérêt Général, et ça me fait bien plaisir de voir qu’il s’est mis en branle rapidement pour de vrai.

Sur quoi part-on ? Sur une solution de scrapping (robot qui va analyser et récupérer des informations sur une page web) des sites des structures de l’innovation sociale partenaires, pour récupérer des informations sur leur identité, leurs projets, et rendre visible des écosystèmes territoriaux. Je reconnais plein de vertus à la solution technique choisie (le scrapping demande de la part des structures un moindre effort technique, pas de redondance dans la saisie de leurs informations…) et j’aimerais bien en savoir plus sur le fonctionnement concret. Ca tombe bien, la solution sera open source :).

Les intervenants soulignent déjà que le projet a permis de tisser de nouveaux liens entre les différents partenaires. Espérons que ça se poursuive après la sortie officielle (en avril, nous a-t-on dit).

Il y a aussi eu présentation de ou référence à des solutions moins séduisantes (fermées, propriétaires…), que j’annote pour mémoire (jamespot, réseau social d’entreprise).

Choix techniques et postures politiques

Un débat sur le « recours au numérique dans les processus de participation » a été l’occasion de véritables échanges contradictoires plutôt chouettes. Sur le principe, tout le monde dira que la participation, c’est bien, que les règles du jeu doivent être claires, que la démarche doit être sincère… Pourtant, il y a plein de façons différentes de penser la participation, et des succès très variables des démarches. Alors, à quel moment est-ce qu’on entre dans le détail pour quitter des propos de surface consensuels entendus mille fois ?

Certaines questions allient à la fois un côté terre à terre hyper concret, à la fois des possibilités de réponses très différenciées, qualités qui permettent de révéler de vraies postures politiques. Et c’est là que ça devient enfin intéressant. Exemples relevés lors de cette table ronde :

  • La modération des contributions à une consultation : a priori ou a posteriori ? (là-dessus, j’ai une opinion claire)
  • L’inscription à une plateforme de consultation : avec identité vérifiée imposée, ou anonymat possible ? (pour moi ça dépend d’abord des objectifs de la consultation. Ensuite, il y a toujours la question de la sécurité des plateformes de vote en ligne)

Et toujours cette interrogation qui irrigue nombre des échanges : qui doit décider à la fin ? Les élus ou les citoyens ? Où placer le curseur entre démocratie représentative et démocratie participative ?

Ce que révèle les positions sur ces questions ? Le degré de confiance en ses concitoyens, la priorisation entre le souhait d’une expression maximale et diversifiée ou la sécurité… Passionnant.

Une démarche de design dans le détail

Stéphane Vincent, délégué général de la 27e Région, est venu parlé de la démarche de laboratoire d’innovation. C’est très chouette d’entendre parler dans le détail d’une démarche de design, de ce qui l’anime et des convictions sur laquelles elle se fonde (qu’on soit d’accord avec ou pas).

Les éléments qui m’ont le plus marquée :

  • la possibilité d’avoir un positionnement bâtard, ni dans le conseil, ni dans la recherche (« Action Tank », recherche action…),
  • la volonté de rester une petite structure (une douzaine de personnes). Plutôt que d’agrandir la structure, préférer agrandir l’écosystème de partenaires dans lequel on s’inscrit,
  • « Que quelqu’un me cite une politique publique qui a été améliorée suite à une évaluation ! » (sur le constat que le cycle de vie des politiques publiques est en panne, car les institutionnels ne sont pas assez connectés au terrain, qu’il n’y a pas de boucle de rétroaction…),
  • le syndrome du chef de projet : injonction à faire de la transversalité sans donner ni le pouvoir ni les moyens de le faire,
  • « on ne peut plus parler de gestion des risques, car on ne peut plus évaluer les risques, dans le contexte d’incertitude totale dans lequel on est »,
  • mise en garde contre les focus group, réunion de 2 heures où on n’a que les intéressés (partisans et opposants farouches) qui déroulent leur discours. A la place : immersion longue,
  • Ne pas chercher la représentativité des personnes rencontrées, mais se focaliser plutôt sur les cas extrèmes (dans le cas d’un projet dans une médiathèque : les usagers experts qui y vont 4 fois par jour et ceux qui n’y mettent jamais les pieds, par exemple),
  • Mener l’expérience comme une enquête, ramener des preuves (photos),
  • Privilégier les projets d’usage sur les projets architecturaux,
  • Pour que ça marche, il faut jouer sur la désirabilité du projet : il faut que le projet soit poétique. Ne pas être dans la rationalité, réintroduire du sensible,
  • Ne pas s’intéresser aux besoins, mais plutôt être focalisé sur l’identification des usages et des pratiques,
  • A la fin d’une expérience, rédaction d’un anti-rapport, court et sans jargon, pour en rendre compte,
  • Mener des démarches expérimentales sur des équipements, c’est plus simple car l’objet est tangible. « Est-ce qu’on peut faire des marchés publics orientés usagers ? »,
  • Dans le monde, jusqu’ici, 2 laboratoires d’innovation sur 3 échouaient. Soit parce qu’ils étaient tellement gentillets qu’ils ne servaient à rien, soient parce qu’ils étaient tellement pirate et poil à gratter que les politiques préféraient les mettre sous le tapis,
  • « Ca ne peut marcher que si ce sont les agents eux-mêmes qui construisent le laboratoire. » Leur apprendre à penser comme des sociologues, des designers, même s’ils ne le seront jamais,
  • « L’empathie, c’est fatigant »,
  • « On sait dès le début si ça va pas marcher », grâce aux critères suivants :
    • quelles sont les chances de mise en oeuvre réelle du projet ? (est-ce que le projet est là pour amuser la galerie ? Occuper un élu ? Légitimer un choix déjà fait ?)
    • est-ce qu’on a le droit de travailler avec les gens, TOUS les gens ? (même les opposants)
    • est-ce que le sujet est pluridisciplinaire ? (la méthodologie de la 27e région marche mieux sur les sujets bizarroïdes. Sur les mono-disciplinaires, il y a déjà des spécialistes qui peuvent suffire)
    • est-ce que l’expérimentation est co-financée ? Important pour éviter que celui qui paye décide tout. A la place, on créé du bien commun puisque ça n’appartient à personne en particulier.
    • Est-ce que les principaux concernés sont vraiment enthousiastes ?
  • Une démarche de design a forcément des effets collatéraux qu’il faut autant que possible anticiper (informer, prendre soin des gens, être intraitable sur l’éthique et la responsabilité)

Les autres découvertes en vrac

D’autres retours, ailleurs