J’ai croisé plusieurs fois ces derniers mois des références au livre « Reinventing Organizations » de Frederic Laloux, présentant apparemment de façon limpide et inspirante une révolution douce en cours dans les modes d’organisation du travail.

Jusqu’à ce que je découvre il y a peu que son auteur rendait son ouvrage accessible à prix libre (et en deux versions distinctes, en plus !). Plus de prétexte : version « enfant » (celle avec les dessins) téléchargée, et récapitulatif du bouquin ici.

[Travail en cours, la lecture n’est pas encore bouclée]

Types d’organisations

Par leur ordre historique d’apparition :

Organisation impulsive (Rouge)

Le plus fort s’impose et protège sa tribu. Modèle de la meute de loup.

Exemples : Mafia, Gang

Apports :

  • division du travail
  • Autorité qui vient du haut (top-down authority)

Exemple du fonctionnement pour la négociation salariale : décision arbitraire et révocable du boss.

Organisation conformiste (ambre)

Règles intériorisées et croyances communes, fondées sur culpabilité et honte. Si tu suis les règles, tu es des nôtres et tu seras sauvé. Sinon, rejet et excommunion. Monde de stabilité et de certitudes.

Exemples : armée, église catholique, université (hiérarchie forte)

Apports :

  • processus stables et réplicables (ex: moisson), dont le savoir est inscrit dans l’organisation même et non dans un individu. Toute personne est donc remplaçable.
  • organigramme clair et stable

Exemple du fonctionnement pour la négociation salariale : même travail, même paie. Pas de négociation, pas de distinction.

Organisation autour du résultat (orange)

Révolutions scientifique et industrielle. On peut être qui on veut, pour peu d’être un peu plus malin, rapide, innovant que les autres.Posibilité d’imaginer d’autres mondes et d’inventer (« Et si.. ? »). La règle de la loi et de la démocracie remplace le système féodal. Organisations vues comme des machines.

Exemples : Wall Street, Wallmart, Nike, CocaCola.. Business & politics

Apports :

  • innovation
  • accountability (management par objectifs)
  • méritocratie

Riques : croissance pour la croissance, succès uniquement via fric et reconnaisance, obsession matérialiste, inégalités sociales, perte de la communauté, nature en danger

Exemple du fonctionnement pour la négociation salariale : incitation individuelle, prime sur objectifs, écarts de salaires importants sont tolérés s’ils reflètent le mérite.

Organisation pluraliste (vert)

Mouvements sociaux, contre culture années 60-70. Organisation comme une famille, où chacun a sa place.

Exemples : postmodern academic thinking, in nonprofits, and among social workers
and community activists. Southwest Airlines, Ben & Jerry’s

Apports:

  • empowerment, bottom-up
  • culture guidée par les valeurs (qui remplacent les gros livres de règlements)
  • Stakeholder value, « resonsabilité écologique et sociale des entreprises » (plutôt que shareolders, actionnaires)

Limites :

  • conservation d’une structure pyramidale malgré la volonté d’horizontalité et de consensus (recherche du consensus menant souvent à paralysie). Ces organisations ne parviennent pas à se débarasser des boss, et insiste plutôt sur la notion d’empowerment (les managers essaient de faciliter la prise d’initiatives des employés)

Exemple du fonctionnement pour la négociation salariale : bonus d’équipe, et limitation des écarts de salaire

Organisation évolutive (evolutionnary) (turquoise)

Pensé par Maslow, Graves, Kegan.
Pas les GAFA, pas de tables de ping pong et de mobilier design

Exemples : Gore Tex,Buurtzorg, FAVI (pièces auto, France), RHD (USA human service), Sun Hydraulics, Heiligenfeld, Morning Star (tomatoes), Holacracy, ESBZ (German), Patagonia (outdoor apprel maker), AES (electricity), BSO/Origin (IT services), Sounds true (multimedia)

Apports :

  • self-management : système fluide d’autorité distribuée et d’intelligence collective.
  • wholeness : pas de délimitation entre le « moi professionnel » (souvent limité) et le moi « personnel ». Venez au taf comme vous êtes, en gros.
  • Evolutionary purpose : pas de plan tout établi, la structure évolue au fil du temps

Comment fonctionnent les organisations évolutives ?

Self management

Dans un monde complexe, la personne au sommet de la structure hiérarchique ne peut pas tout appréhender, ce qui mène à perte de temps (préparation pendant des heures des entretiens liminaires avec le boss, our ses subalternes) ou mauvaises décisions.

Contrairement aux idées reçues:

  • il y a tout de même des structures, des rôles, des process, mis en place (et non absence de structure et anarchie)
  • il ne s’agit pas ici de décision par consentement interminable, mais de processus de décision + rapide.

Pour qu’une organisation deviennent évolutive, de nombreuses pratiques de management doivent être revues.

Structures d’organisations : petites unités autonomes

Petites unités de 10 -12 personnes max, contact aussi direct que possible avec le client final ou la concurrence ; compréhension des enjeux à chaque échelon…
Le coach n’a pas d’objectif chiffré mais vient en appui des unités qui en feraient la demande.

Prise de décision : par prise d’avis

Ni top-down, ni consensus (prend du temps), ni vote.

One company called it the Advice Process, a name that captures its essence well. The principle is that anyone
can make any decision
, including spending company money. But first, that person has to seek advice :

  • from people who have expertise about the topic,
  • from those that will be meaningfully affected, that will have to live with the decision.

Pour les grosses décisions, impliquant tout le monde, certains (Buurtzorg) écrivent un post de blog pour proposer un changement, et tous les employés peuvent commenter, approuver, corriger… Si pas d’assentiment, le CEO soit fait une proposition corrigée, soit propose de monter un groupe de travail volontaire.
(oui mais… quid si les commentaires sont partagés ? C’est toujours le boss qui décide en dernière instance ? Et y’at-il toujours des volontaires pour le groupe de travail ? Ou pour commenter assez ?)

Compensations et incitations financières

Cf exemple de Morning Star : chaque année, chacun propose comment il veut être augmenté, après en avoir discuté avec des collègues. Le panel de collègues étudie les demandes et procure un avis. S’il y a dissensus fort entre ce que souhaite l’employé et l’avis du panel, ça déclenche un mécanisme de résolution du conflit.

Management de la performance

Motivation intrinsèque, émulation par les pairs (les performances de chaque équipe sont publiques), et demande du marché (la connaissance du marché, de la concurrence, est un meilleur moteur que la hiérarchie).

Hiérarchie « naturelle » plutôt que par le pouvoir

Certains employés sont « naturellement bons » ou intéressés dans certaines compétences (connaissances académiques, écoute, gestion des conflits..) et deviennent des références pour les autres.
oui mais quand plusieurs personnes sont sur le même champs de compétences ? Comment éviter jalousie, envie, concurrence ? Comment faire en sorte que chacun se sente doué en quelque chose ? Comment s’accorde-t-on sur le fait qu’untel ou untel est doué dans telle chose ?
et comment sait-on au début à qui s’adresser?

The goal is not to make everyone equally powerful, but to make everyone fully powerful.

Entièreté (Wholeness)

Dans la plupart des entreprises, seule la partie « masculine » (volontaire, sûre d’elle, décidée…) est valorisée. Et uniquement le côté rationnel (et non les côtés émotionnel, intuitif, spirituel).

Comment, hum, l’entreprise permet de révéler l’entièreté de soi-même ?
Par exemple en laissant entrer dans l’entreprise les chiens ou les enfants des employés, et laisser leur collègue s’en occuper, les caliner, etc.
oui mais qui d de ceux qui peuvent pas saquer les chiens ou les enfants ? De ceux qui s’opposent à ce qu’un clebard qui pue participe à une réunion ?

Safe space

Il faut déjà faire prendre conscience que nos mots et actions peuvent influer sur l’ambiance de travail, faire accepter des valeurs communes, se mettre d’accord sur ce qui est un comportement offensant.
Cf Resource for Human Development (RHD), et son « Bill of Rights and Responsibilities for Employees and Consumers ».
La transmission de valeurs communes peut aussi passer par le « onboarding », des études ou événements particulier.

Reflective Spaces

Temps individuels ou communs de méditation, de yoga…

Cf Heiligenfeld :

  • The company offers every new employee the opportunity to learn to meditate. And every day, there is a thirty-minute meditation session planned for anyone interested.
  • Every employee —cleaning staff, cooks, and everyone else- who struggles with an issue can book individual coaching sessions from a vast menu of coaching techniques.
  • All work teams pause somewhere between two to four times a year to work with an external coach through any tensions or upsets.
  • Chaque semaine, 1h15 de réflexion commune, sur des thèmes comme « conflict resolution, dealing with failure, company values, interpersonal communication, bureaucracy, IT innovations, personal health ». Chaque session commence par une présentation / cadrage ; puis discussion en groupe de 6 à 10 personnes.

Storytelling

Exemple : Center for Courage & Renewal. Pour accueillir les nouveaux, chacun fait un souhait pour eux, et raconte l’histoire de ce souhait avec un objet qui le symbolise.

Ou bien, dans un collège allemand, chaque vendredi est organisé une session de louange ou chacun peut, publiquement, remercier quelqu’un.

(Cette partie là me semble un poil plus vaseuse.)

Réunions

Mise en place de procédures qui permette de laisser de côté les égo et tirer le meilleur parti de réunions.

  • A Buurtzorg, utilisation d’une méthode complexe proche de « Integrative Decision Making » dans l’Holacracy.
  • A Sounds True, chaque réunion débute par 1 minute de silence.
  • A FAVI, réunion débutant par chacun partageant une histoire brève au sujet de quelqu’un qu’ils ont récemment remercié ou félicité.
  • Utilisation de petites cymbales, dont un participant à la réunion a la charge. Lorsque les discussions commencent à être parasitées par les égo, ils sonnent les cymbales, et personne n’a le droit de parler tant que le son des cymbales n’est pas complètement dissipé.

Engagement et horaires

Possibilité de s’absenter, d’aménager ses horaires, à condition de trouver soi-même un arrangement avec ses collègues.

Evaluation des performances

Pas d’entretien unique une fois par an en scrutant une grille d’évaluation.

L’exemple de Sounds True :

Les personnes avec lesquels on bosse le plus répondent à deux questions :

  • qu’est-ce que j’apprécie le plus dans le fait de travailler avec toi ?
  • quel est le domaine où je sens que tu pourrais changer et grandir ?

Puis entretien avec un responsable ou un pair de confiance :

  • What do you take away from the discussions?
  • What did you learn?
  • What do you want to pay attention to in the future?
  • Where do you feel called to go?

Le but évolutionnaire (Evolutionary purpose)

Poursuivre un noble but fait disparaitre la compétition

Les nouvelles organisations parviennent à domestiquer les peurs et les ego de leurs membres, ce qui leur permet de ne plus être dans la recherche de leur propre préservation, et laisse l’espace pour explorer vraiment la question du sens et du but. (ok, je pensais être une irréductible bisounours, mais y’a encore plus ché-per).

En se concentrant sur le noble but de l’entreprise (faire en sorte que les patients reçoivent les meilleurs soins possibles, qu’ils soient prodigués par notre entreprise ou une autre, par exemple), la notion de compétition ou de concurrence disparait. Voir l’exemple du fondateur de Buurtzorg qui prodigue gratuitement des conseils à ses concurrents.

Une organisation evolutive s’adapte aux changements (internes et externes)

Aux maximes « Prédire et contrôler » ou « Stratégie et Exécution », les dirigeants des organisations évolutives préfèrent « Sentir et répondre ».

Stratégie

Les organisations évolutives prônent le « self-management », qui permet à chacun d’être un « capteur », de sentir les besoins ou opportunités, et d’initier des changements.

Cf Buurtzorg : 2 soignantes ont testé de faire un peu de prévention, et souhaitaient que ça se généralise à l’entreprise. Le dirigeant n’a pas évalué le pour et le contre, puis lancé une cellule pilote avant de généraliser peu à peu, région après région, non. A la place, il a suggéreé aux soignantes de décrire leur expérience, en donnant le maximum de d’éléments pour qu’elle soit reproductible, et de la partager aux autres équipes. N’importe quelle équipe que ça branchait avait alors la latitude pour commencer à faire à son tour de la prévention.

Le but n’est pas que chacun ait le même pouvoir, mais que chacun ait du pouvoir.

Des méthodes permettent de sentir collectivement où l’organisation veut aller : technique de la chaise vide (représentant l’organisation pendant les réunions), Theory U (par Otto Scharmer), Appreciative Inquiry, Open Space, Future Search, and World Café.

Budget

Pas de budget ni d’objectifs chiffrés.

our goal is to be profitable not knowing how, instead of losing money knowing exactly why. (FAVI)

Conduite du changement

Le changement se fait naturellement en interne, donc il n’y a pas à accompagner le changement

Comment arrive-t-on à une organisation évolutionaire ?

Les conditions nécessaires

1/ Le chef / fondateur / CEO doit voir le monde à travers la lentille évolutionnaire.
2/ Les propriétaires de l’organisation aussi (pour que le leader ait les mains libres)

(oui mais qui décide que telle ou telle décision est une réussite ou un échec ? Sur quels critères ? Et comment sont fixés ces critères ? )