Un article récent de Michel Bauwens vient faire furieusement écho à ma lecture de Reinventing Organizations. Des concepts complémentaires qui viennent encore nourrir la compréhension des nouvelles possibilités (souhaitables) xd’organisation.

Je fais l’hypothèse que le capitalisme a changé d’un capitalisme anti-commun qui employait le travail comme commodité pour créer des marchandises vers un capitalisme qui facilite les dynamiques du commun et qui essaye de capter directement la sur-value créée par les communs.

Pour Bauwens, 3 types de structures (« institutions », dit-il) émergent :

  • la communauté productive : systèmes productifs ouverts qui ne sont pas basés sur le travail-marchandise mais sur la contribution (ex : wikipedia, linux)
  • la coalition entrepreneuriale : extractive (capitalisme qui capte la sur-value du commun) ou générative (des commoners eux-mêmes qui réfléchissent à créer des formes entreprenariales ou autres qui créent des moyens de vivre de leurs communs). Même si elle est capitaliste, elle est co-dépendante des communs et donc elle doit tenir compte des communs. (ex: IBM qui contribue à Linux)
  • la « for benefit association » : Ces associations font le lien entre les communautés productives et les « entredonneurs » (ici des donateurs) (ex: Wikimedia Foundation, la Linux Foundation)

Et Bauwens de citer Bernard Friot :

« la vraie lutte des classes ce n’est pas le partage du gâteau (ça c’est la lutte sociale), c’est qui détermine ce qu’est la valeur »

Pour permettre une souveraineté de définition de ce qu’est la valeur :

  • la comptabilité contributive : « on n’est plus dans la division du travail mais dans la distribution volontaire des tâches. On considère la contribution comme l’unité de valeur. Ces contributions peuvent être très diverses : je donne une machine à la communauté, j’ai travaillé quelques heures pour développer ce logiciel particulier, j’ai testé la machine, j’ai participé au financement d’un projet,… » »
  • une licence à réciprocité renforcée : licence qui dit 1/ que le partage reste protégé : il n’est pas question de diminuer le partage, tout le monde peut utiliser la connaissance. 2/ que la commercialisation est conditionnée à une forme de réciprocité, dont les termes sont définis par les communautés.

Bauwens développe ensuite une vision intéressante, à partir des communs, de 4 entreprises dont certaines fréquemment citées dès qu’on parle « nouvelles formes d’organisations » :

  • Sensorica : alliance qui crée du hardware scientifique ouvert (Open Scientific Hardware). Perçus presque comme « anarco-capitalistes » par Bauwens, tout du moins « ils ont un côté très individualiste ». Chaque individu peut simplement entrer dans ce système, commencer à travailler, et sera jugé par ses pairs par une évaluation contributive.
  • Enspiral : beaucoup plus communautaire, avec comme communs, Loomio et Co-Budget.
  • Las Indias : guilde maçonnique en Espagne. A Las Indias, on entre dans une maison communautaire, on a 3 mois pour se rendre utile. Si on n’est pas autonome, cela ne marche pas, donc on s’en va. Si on se rend utile on devient « fellow » (compagnon). Un compagnon travaille pour les projets puis devient « sous-chef » ou « chef de projet » puis quand on devient « maître » on sort du système productif et on devient entièrement libre et on travaille pour la communauté.
  • Ethos : le + capitaliste des projets. en interne ils sont organisés en communauté. Ils ont inventé les double shares (double actions) : tous les gens qui travaillent pour le marché sont rémunérés en actions et tous les gens qui travaillent pour la communauté mais pas directement pour le marché sont rémunérés par des actions qui seront vendues dans 5 ans. De cette façon, ils vont capter la sur-value qu’ils ont apportée à l’écosystème.

Bauwens parle aussi de transvesment :« pratiques de reverse cooptation » (cooptation à l’envers). Il ne s’agit plus de se poser la question « Comment le capitalisme va-t-il nous capter ? » mais la question contraire « Comment va-t-on capter la valeur du système dominant ? », c’est à dire toutes les ressources qui sont aujourd’hui contrôlées soit par le capital, soit par l’Etat. Exemple : accepter des investissements avec un retour garanti de 3, 4 ou 5 % dans 10 ou 15 ans. L’investisseur a donc un retour sur son investissement. Mais il y a un mur entre le management du réseau et l’argent, ce qui signifie que ce n’est pas comme du capital-risque, l’investisseur n’entre pas dans la co-propriété ni la co-gouvernance du projet. Il est mis en « quarantaine ». Ce qui est amusant c’est qu’après le projet, il y a un rituel de remerciement : « Merci capitaliste éclairé, nous allons donner cette ressource au commun ».

Aujourd’hui nous avons un système que Kōjin Karatani appelle « Capital-State-Nation » (le capital, l’état et la nation). Selon Karl Polanyi, historiquement c’était la nation qui se révolte, qui force l’état à discipliner le capital, mais cela ne fonctionne plus puisque le capital est devenu transnational et que l’état opère au niveau de l’Etat-Nation. L’idée c’est donc d’aller vers un système commun entouré d’un marché réciproque lui-même entouré d’un état partenaire. On réarrange les meubles en faveur des communs…

Source : Forces et limites de la démarche pair à pair