La métropôle du Grand Nancy organisait les 29 et 30 septembre Moments d’invention, deux journées de rencontres et de réflexions autour de l’humanisme numérique, destinée à nourrir le projet métropolitain. Rencontre « humanisme » et « numérique »… Une alliance de mots excitante au possible pour moi, une initiative qui se déroule sur mon nouveau territoire, l’occasion de croiser des gens qui, dans la région et ailleurs, se questionnent sur des thèmes similaires à ceux qui me préoccupent actuellement… Forcément, j’y ai été, et tant qu’à faire je partage mes notes.

Et en guise d’introduction…

La première matinée était dévolue aux conférences introductives, posant autant de pistes de réflexions pour la suite. Je découvrais à cette occasion la quasi totalité des orateurs et ai pu confronté mes a priori à l’épreuve de la réalité. Bilan :

  • je ne comprends toujours pas grand chose à la philo, même celle, prometteuse, de Milad Doueihi autour de l’humanisme numérique ;
  • l’intervention de Victoire de Margerie m’a permis de confirmer que nous ne partagions définitivement pas la même vision du monde ;
  • Emile Servan Schreiber est un très bon orateur et m’a surprise dans le bon sens, en revenant sur le fait que « l’intelligence collective du groupe dépend de la qualité de la communication, de l’intelligence émotionnel », que « les entreprises les plus innovantes sont celles qui impliquent le plus leurs employés dans l’ idéation », que pour nourrir l’intelligence collective il faut de la diversité, de la confrontation, de la liberté (liberté de ne pas se confiner dans la norme) ; et en demandant à ce que + de réfugiés viennent en France pour nous rendre + intelligents ;
  • Dorte Nielsen d’Eurocities, rappelle qu’« il faut une coordination entre digital et non digital pour toucher le + de monde » (j’approuve)
  • Michel Bauwens, avec ses voeux de société LSD (libre, solidaire et durable) est vraiment un chic gars avec plein de chouettes idées : stigmergie, contributions, communs, écosystèmes de production, Etat comme partenaire du monde contributif…

Parcours des savoirs partagés

Ensuite vint le temps de la mise en pratique de l’intelligence collective, par tablées de 4 ou 5 individus, accompagnés de facilitateurs. Chaque groupe cogita sur l’un des 4 grands thèmes de la rencontres, votre serviteuse se voyant propulsée sur le parcours Savoir partagés : « vers un nouvel imaginaire métropolitain ? ». Je n’ai donc qu’une vision hyper parcellaire des trois autres parcours proposés : « Croisements fertiles : vers une nouvelle intelligence collective ? », « Démocratie vivante : vers un nouveau contrat citoyen ? », « Nouvelles attentions : vers de nouveaux modèles d’initiatives locales ? ».

Parmi les questions abordées dans mon parcours : quelle place pour les paroles citoyennes diverses dans la démocratie métropolitaine ? De quoi rêvez vous pour intervenir dans les décisions collectives ? Comment utiliser les outils pour qu’ils relient plus qu’ils ne séparent ? Des questions volontairement floues, polysémiques, pour susciter l’échange.

Dans ce parcours, on a pu discuté, avec le philosophe Stéphane Vial, de Jacob von Vexküll ou d’autruiphanie (capacité à faire apparaitre autrui, comme les 3 points de suspensions sur Whats app suggèrant la présence de notre interlocuteur); avec Pierre Cros du fait que « la smart city est portée par les entreprises » et de « comment la rendre aux citoyens, passer de la ville intelligente à la ville intelligible ? », de crainte de marketing territorial, de besoins de formation…

Air du temps et redondances

On a pu voir certains thèmes se répandre ou se répondre d’une table à l’autre, et revenir sur la tapis de façon récurrente même entre groupe qui ne se cotoyèrent pas. Est-ce l’influence de facilitateurs mobiles et polonisateurs ? Etat des lieux subjectifs des questionnements et enjeux dans l’air du temps quand on parle numérique, social et politique :

  • comment refonder la confiance (entre individus, entre citoyen et politique…) ?
  • plus précisément, comment concilier l’accélération du monde (en grande partie due au numérique) et la confiance, qui prend du temps à s’établir ?
  • la nécessité de faire accepter le droit à l’expérimentation, et le droit à l’échec. Faire sortir les décideurs d’une posture omnipotente et omnisciente, qui est d’ailleurs souvent la posture attendue de la part des électeurs (y’a du boulot des 2 côtés !)
  • la thématique des communs, et d’Assemblée des Communs continue à être bien portée
  • laisser de la place au chaos, à des espaces sans destinée pré-établie
  • casser les silos, nouvelle formulation ad hoc pour parler de transversalité, j’ai l’impression

Initiatives que je retiens

Florilèges des initiatives, propositions ou rencontres chouettes que je retiens :

  • « vers une amap de la donnée »

  • « centre de visualisation de data urbaine » (à l’exemple de Loos-en-Gohelle, dans le Nord Pas de Calais, qui utilise des capteurs et données pour faciliter la prise de décision par ses propres concitoyens).

  • des élections « tout au long de la vie » : histoire d’échapper à l’hystérisation émotionnelle des quelques mois qui précèdent une élection, pourquoi ne pas voter tous les ans, chacun à sa propre date anniversaire, pour le candidat que l’on souhaite ? A l’issue du mandat, tous les votes de toutes les années sont pris en compte. (Réflexions personnelles : comment dépasser le « vote pour / vote contre » l’équipe en place ? Comment rendre tangibles le programme des oppositions ?)

  • Pierre Ammeux, directeur de la Maison Folie Beaulieu et en charge du pôle cultures numériques à Lille, qui a pour ambition de faire comprendre à tous les habitants de son territoire qu’ils peuvent agir, s’emparer des enjeux qui traversent leur ville, et notamment par le biais d’un outil numérique qui n’est pas si inaccessible que ça.

  • impôts en équivalent temps d’intérêt général : donner du temps et non de l’argent à la cité, pour le bien être social et citoyen (via Armel Lecoz)

  • la collaboration graphique entre Morgan Fortems et Miguel Costal, illustrateurs réactifs et inspirés en ping pong (on peut même télécharger le kit de propagande ici !)

Entre méfiance et enthousiasme

Immergée dans des lectures et des milieux où ça cause innovations sociales et numérique, j’étais déjà familière de pas mal des propositions qui ont émergé de ces deux jours. Familière, au même titre que tout un pan des participants d’ailleurs, eux aussi biberonnés des mêmes impulsions et des mêmes utopies.

Et c’est là que j’ai par moment senti le hiatus entre deux types de rapport au numérique. Car à côté de ce premier groupe plutôt optimiste et plein d’envies, il y a ceux qui sont confrontés au quotidien aux difficultés liées au numérique (je pense à ces personnes, bossant dans l’insertion, constatant combien des compétences numériques basiques pouvaient manquer à certains), croisant ceux (parfois ce sont les mêmes) qui voient avant tout dans le numérique une menace (pour la sécurité des données, pour l’inclusion…) plus ou moins fantasmée. Posture défensive, réclamant des mesures réparatrices, de rattrapage, avant toute chose. Un côté un peu déprimant, une impression de retour en arrière, en retrouvant des discours déjà entendu il y a 6 ou 7 ans, quand je bossais dans l’associatif numérique. La situation n’a-t-elle vraiment pas évolué ?

Et c’est compliqué, sur un temps si court, de réussir à faire se croiser réellement les deux mondes. Compliqué de trouver les idées, les exemples, qui rassurent les plus méfiants et leur donne envie d’aller de l’avant et d’inventer les interactions numériques qu’ils veulent, plutôt que de les subir. Compliqué, de descendre de la chapelle des idées et de prendre le temps de vraiment se confronter aux retours d’expériences du terrain. Alors que le croisement me semblerait des plus intéressants…

Flexibilité, adaptabilité et connaissances partagées

A ce que je sais, il n’y avait pas de résultat attendu pré-défini à ces rencontres. Le cadre, la procédure étaient posées, mais les participants étaient libres à l’intérieur de ces cadres. Encore, ces cadres n’étaient pas rigides : des ajustements ont été fait entre le jour 1 et le jour 2, en fonction des retours des participants. Capacité à être flexible et à s’adapter : l’un des très bons points de l’organisation.

Chaque moment de discussion autour d’une question était précédé d’une intervention de spécialiste (historien, philosophe, acteur de terrain, sociologue…) chargé d’y apporter un éclairage particulier. Ces moments étaient pour moi précieux : source d’apprentissage (j’aime !), ils permettaient aussi que les contributeurs soient nourris d’un minimum de bases communes ou d’exemples partagés pour entamer la discussion.

Mais c’étaient quoi, nos contributions ?

Etant quelqu’un parfois un peu binaire (j’avoue), la latitude laissée sur le résultat attendu, le manque d’info sur l’horizon de l’expérience, m’ont tout de même perturbé. Il a fallu par exemple que j’attende le 2e jour pour comprendre que les innombrables discussions devaient nourrir le projet politique de la métropole nancéenne pour les prochaines années. On ne sait pas concrètement comment seront récupérées, analysées, utilisées les contributions.
Il n’y avait pas non plus, de ce que je sache, de communautés de profils de participant (spécialiste ou non spécialiste, grand nancéen ou d’ailleurs…), même si la thématique et la manière dont était formulé le projet ont sûrement dû amener à un filtrage naturel.

Du coup, la nature même de nos contributions demeure flou :

  • était-ce une façon de sonder les préoccupations et attentes des nancéens (auquel cas, le panel de contributeurs n’était pas représentatif) ?
  • était-ce un temps de travail de spécialistes pour trouver les meilleures solutions ? Il nous était demandé le 2e jour de faire des propositions concrètes : mais de quoi précisément ? Comment faire des propositions concrètes en si peu de temps ? Alors que les contributeurs ne sont pas spécialistes, pas techniciens ? N’ont pas de réelle connaissance ni des spécificité du terrain, ni des types de solutions déjà expérimentées ailleurs qui pourraient être adaptées ici ?
  • était-ce un temps de partage d’expériences entre personnes sensibles à ces problématiques, et les rencontrant chacun sous un prisme particulier (il y avait dans les profils aussi bien des étudiants, que des personnes de l’insertion, des développeurs que des agents des collectivités, etc) ? Mais chacun venait sans étiquette précise, uniquement avec son prénom-nom. Principe que je trouve d’ailleurs plutôt chouette : ça permet d’abattre une partie des a prioris lors des discussions, mais ça passe sous silence la question du « d’où parles-tu ? » qui peut amener à gagner du temps et de la finesse dans les échanges.Et les temps étaient trop courts pour assimiler et réagir correctement aux expériences de chacun.
  • est-ce simplement moi qui suis trop rigide dans ma façon de penser et incapable de concevoir un entre deux ?
  • pourquoi est-ce que je m’emmerde avec toutes ces questions alors que je suis juste une développeuse ?

Au final, pour moi, l’un des principaux mérites de cette étape est une acculturation commune de quelques centaines de personnes, curieuses, un minimum variées et engagées. L’acculturation porte aussi bien sur des façons de faire (démarche participative, d’intelligence collective) que sur des concepts et connaissances mise en commun.

Prochains défis : (car ce serait dommage d’en rester là !)

  • comment intégrer à cette démarche des personnes plus éloignées de ces problématiques ? On a souvent parlé de personnes âgées, de personnes souffrant de handicap, de jeunes sans compétences numériques, mais d’un point de vue extérieur et surplombant, vu qu’aucun des principaux concernés ne participait aux discussions.
  • comment capitaliser sur cette expérience avec les personnes qui l’ont vécu ? Comment pousser plus loin les pistes floues, contradictoires, disparates qui ont émergé, en continuant à s’appuyer sur les volontaires déjà impliquées ?

Les organisateurs laissaient entendre qu’il y aurait une suite, j’ai envie de dire que « y’a intérêt ».

Croiser les sources

Il y a d’autres traces de Moments d’invention sur le net, parfait pur croiser les sources !

Source : Moments d’invention 2016